Je ne sais vraiment pas comment classer cette fic à partir de ce moment. Je suppose M...
Chapitre 1
Il était devant une vague forme sombre qui se tortillait en tremblant. Ses propres muscles étaient bandés, prêts à achever son adversaire. Il visa soigneusement et s'élança, tandis que la chose le suppliait.
Il volait. Le vent qui lui fouettait le visage, l’ivresse de la vitesse, le martèlement de ses pieds sur le sol… tous ces détails lui donnaient un aperçu du bonheur pur et simple, de l'euphorie à l'état brut.
C’est alors que quelque chose de fin lui trancha la gorge.
Il regarda son corps étêté tomber, impuissant, tandis que la silhouette sombre ricana de le voir mort… avant de susurrer d’une voix douce :
« Joyeux anniversaire, petit frère… »
James se réveilla en sursaut, les yeux écarquillés par la terreur que lui procurait toujours son cauchemar, celui qui le hantait depuis des
années sans raison apparente. Cette fois, ç'avait été différent. La chose lui avait souhaité un bon anniversaire. N'importe quoi. À moins que...
James regarda le calendrier accroché au mur de sa chambre. Vingt-cinq
novembre. Vingt-cinq novembre. Il avait quatorze ans depuis trois heures exactement, puisqu'il avait eu la bonne idée de naitre à minuit moins cinq.
Mais, alors qu'il les avait attendu avec impatience depuis des années, il s'en fichait royalement. Rien n'avait changé dans sa vie, il n'était ni plus viril, ni plus libre, ni plus grand qu'hier. Ses cheveux cuivrés n'avaient pas poussé pendant la nuit. En toute modestie, il ne pouvait naturellement pas être plus beau qu'avant, avec ses yeux vert d'eau tirant vers le bleu, sa peau mate et ses cheveux lisses et brillants. Sa mère affirmait que si l'école existait encore – elle avait été supprimée il y a presque cent ans parce que désormais, il suffisait d'une opération chirurgicale au cerveau
pour avoir un diplôme que leurs arrières-grands-parents appelaient
" Baccalauréat scientifique ", ou tout simplement " Bac S " – , toutes les filles de sa classe auraient eu le souffle coupé par sa beauté presque
divine.
Sa mère, elle, était loin d'être jolie. Elle était jeune, mais quand son fils était né, elle avait sombré dans l'alcool pour une raison qui échappait à son fils et, même si elle avait arrêté depuis des années, son visage était encore pâle, ses dents jaunes et gâtées, ses cheveux ternes, car, enfermée dans la boisson, elle n'avait guère eu le temps de s'occuper d'elle. Mais elle avait
toujours été laide...
Pierce Saade avait des yeux d'une couleur indéfinie, entre le jaune moutarde et le vert kaki. Elle avait un visage carré, un nez crochu, des cheveux bruns courts aux pointes fourchues et couvertes de pellicules; ses lèvres étaient pâles et minces, et, pour ne rien arranger, une brûlure lui déformait le côté gauche du visage, transformant ses rares sourires en un rictus inquiétant.
Quand il était petit, il avait toujours repoussé sa mère et ses marques d'affection à cause de sa laideur, de ses blessures et de sa crasse. Mais depuis quelques années, il surmontait sa répugnance et lui rendait ses câlins – en retenant sa respiration, évidemment.
James se leva et prit son journal pas intime sur son bureau. C'était un énorme cahier à la couverture de soie rouge qui était aux trois quarts rempli de l'écriture élégante de son propriétaire.
C'était son manuscrit. Son chef-d'œuvre. Sa fierté.
Il racontait l'histoire d'un garçon très beau. Qui partait dans le ciel. Découvrait qu'il était un ange. Et sauvait le monde du chaos et des ténèbres qui voulaient s'en emparer, avant d'être accueilli en héros et de vivre une vie longue et paisible.
Le héros s'appelait James Saade, mais celui qui avait écrit l'histoire savait qu'il n'allait pas vivre l'aventure du personnage de roman du même nom. Il avait beau savoir qu'il était très beau, il y avait quand même un petit peu de modestie en lui.
Les héros ne se réveillent pas pétrifiés de trouille après un cauchemar idiot, songea-t-il avec amertume.
Il feuilletait son cahier, cherchant son passage préféré. Alors qu'il repérait du coin de l'œil une incohérence au niveau de l'histoire, les lettres bougèrent.
Les caractères tourbillonnaient sur le papier, changeaient de couleur, se modifiaient. L'ensemble évoqua à James une danse compliquée
dont la beauté le réduisit au silence. Il ne pouvait plus bouger,
se contentant de regarder, les yeux écarquillés par l'horreur, le
manuscrit dont il était si fier disparaître pour laisser place à un autre texte. Impuissant, il vit les lettres s'agglutiner pour en former des plus grandes, d'un sinistre rouge sang et maladroite comme si le texte avait été tailladé sur le papier à l'aide d'un rasoir.
N'oublie jamais: Où que tu sois, je te retrouverais
Et je te tuerai de mes propres mains
Prends garde
James cligna des yeux et le texte redevient celui qu'il avait écrit.
C'était le matin. James avait finalement réussi à s'endormir, et avait accusé le manque de sommeil pour son manuscrit aux lettres changeantes.
Mon manuscrit aux lettres changeantes, se répéta l'adolescent, assez fier. Pas mal, pas mal...
« Hey M'man!, dit-il. Belle journée, non?
– Bonjour mon chéri!, le salua Pierce. Bien dormi? »
Sa mère était de dos, occupée à préparer le déjeuner.
Quelque chose clochait. James ne sentait pas l'odeur des pommes de terre qui devait pourtant embaumer toute la pièce. En fait, il ne sentait plus
rien. Pourquoi donc ?
Alors Pierce Saade prit lentement le couteau sur l'évier et fit face à son fils.
Oh, non, non, non, non...
Le visage de sa mère pourrissait littéralement. Des asticots sortaient
des oreilles qui étaient d'une couleur gris-bleu, tandis que le
reste du visage n'était plus qu'os. Ses yeux étaient recouverts
d'un liquide jaune que James reconnut comme étant du pus.
Pétrifié par la peur et la répugnance, l'adolescent ne pouvait même pas
cligner des yeux. Sa mère était un cadavre. Non, pire que ça: un
véritable mort-vivant qui le regardait en affichant un sourire que
James aurait qualifié de sadique.
Le zombie s'élança vers lui, le plaqua au sol et brandit le couteau de
cuisine en laissant échapper un ricanement de triomphe.
La lame d'acier se rapprochait dangereusement de la gorge de James, qui
la saisit – la violence de la douleur lui coupa le souffle – et
essaya de la dévier. Sans succès.
On frappa alors à la porte et le poids sur les épaules de l'adolescent disparut aussitôt.
Karen Saade, la sœur de Pierce, entra dans la maison sans y avoir été
invitée. James vit son regard se porter sur le cadavre désormais inerte de la maîtresse de maison, puis établir un lien avec le couteau qu'il agrippait. James ne cessait de se répéter que ce n'était qu'un mauvais rêve, que sa mère était toujours vivante, que son corps n'avait pas pourri en une nuit, qu'elle n'avait pas essayé de le tuer.
Karen laissa échapper un hurlement strident qui ressemblait étrangement à un cri de triomphe.
Il était devant une vague forme sombre qui se tortillait en tremblant.
Ses propres muscles étaient bandés, prêts à achever son adversaire. Il visa soigneusement et s'élança, tandis que la chose le suppliait.
Il volait. Le vent qui lui fouettait le visage, l’ivresse de la vitesse, le martèlement de ses pieds sur le sol… tous ces détails lui donnaient un aperçu du bonheur pur et simple, de l'euphorie à l'état brut.
C’est alors que quelque chose de fin lui trancha la gorge.
La corde autour de son cou, le grondement dans ses oreilles qui
l'empêchait d'entendre ses propres cris, la sensation d'étouffement...
Il se dit vaguement que toutes ces choses étaient plutôt désagréables à vivre avant que le bourdonnement s'intensifie et qu'il ne puisse plus rien ressentir d'autre, alors qu'il abandonnait sa vie pour aller se réfugier dans un brouillard doré...
Et le corps sans vie de James Saade se balança légèrement au bout de la corde, tandis que le public tout autour exultait.